vendredi 8 octobre 2021

Au pays des mal-aimés

Après quinze années d’absence de l’univers du roman, Najwa Barakat fait un grand retour en signant son septième ouvrage «Monsieur N.» (traduit en français par Philippe Vigreux chez Sindbad/Actes Sud). Quinze années d’abstinence d’écriture durant lesquelles l’écrivaine a éprouvé selon ses dires une «sursaturation» par les mots qui lui a causé une sorte «d’anorexie langagière» et qui l’a tenue tout ce temps à distance de la chose. 

Il faut dire que l’exploration du thème de la violence dans une œuvre littéraire est un exercice particulièrement éprouvant surtout lorsqu’il est inspiré d’une réalité qui souvent dépasse la fiction. Cette réalité puise son inspiration au Liban, pays natal de l’écrivaine, dont les tragédies se succèdent encore et réactivent à chaque fois les traumas antérieurs.  

Du Caire à Enayat Zayyat : archéologie d’un rêve brisé

A l’instant où Iman Mersal écrivaine et poétesse égyptienne, découvre dans les années 90, l’unique roman de Enayat Zayyat «L’amour et le silence», elle est loin de se douter que le destin tragique de cette femme allait la hanter durablement. Prise dans une sorte de ravissement au sens où l’entendait Marguerite Duras -un rapt psychique et émotionnel-, l’autrice part en quête de réponse à la lancinante question : «Qu’est-ce qui fait qu’une écrivaine prometteuse, passionnée, mère d’un enfant, décide de se donner la mort à l’âge de 25 ans?».

Guidée par la force mystérieuse de ce personnage qui lui colle à la peau, elle va déplier l’écheveau d’une vie d’apparence ordinaire mais qui nous fait voyager dans une extraordinaire période politique et culturelle du Caire du 20ème siècle naissant. Un travail aussi intense que riche qui fait revivre une icône, féministe à son insu. 

vendredi 7 mai 2021

La Palestine comme métaphore

Dans son nouveau roman, Un détail mineur (Editions Sindbad, Actes-Sud, Novembre 2020), Adania Shibli nous présente un récit en deux temps qui se déroule en Palestine à un demi-siècle d’intervalle.

 

C’est dans la fournaise du désert du Néguev que se situe la narration de la première partie. Nous sommes en aout 1949, quelques mois après l’expulsion des palestiniens (La Nakba) suite à la proclamation de l’état d’Israël et la guerre israélo arabe. Un peloton de l’armée israélienne se déploie dans cette zone aride pour ratisser la région et en chasser les derniers arabes. Dans son camp militaire, se met en place une routine décrite par l’autrice avec une précision dénuée de fioritures, presque chirurgicale qui semble être un éternel recommencement. Ainsi, les gestes quotidiens et répétitifs de l’officier maniaque, la chaleur écrasante, l’aboiement du chien, la persistance de certaines odeurs, et l’enchainement cyclique des jours et des nuits installent une atmosphère suffocante.

jeudi 4 mars 2021

De l’amour, l’exil, l’absence et la révolution: "Lettres à Samira" par Yassin Al-Haj Saleh

Elle, c’est Samira al-Khalil. Une Syrienne éprise de liberté et de justice. Deux valeurs antinomiques avec l’ADN politique de la dynastie assadienne de son pays, qui se nourrit du sang et des larmes de celles et ceux qui ont osé les ré-clamer. Samira en est une incarnation puisque son activisme au sein de la ligue de l’action communiste lui avait déjà valu sous Hafez el-Assad, plus de quatre années d’incarcération entre 1987 et 1991. En 2011, lorsqu’éclate la révolution syrienne, c’est sans peur et avec beaucoup d’espoir que Samira s’investit avec nombre de militant-e-s qui croyaient que l’heure de la délivrance avaient enfin sonné. En 2013, elle se réfugie dans la Ghouta de Damas, libérée du régime mais assiégée par ses troupes. Avec les compagnons déjà repliés sur place, elle se donne pour mission de documenter le quotidien des gens ordinaires sous le siège. 

Elle organise alors avec Razan Zaitouneh, avocate et fondatrice du Centre de documentation des violations des droits humains, Wael Hamadé l’époux de cette dernière et le poète et avocat Nazem Hammadi, des actions citoyennes et humanitaires pour résister au siège et à la peur. De sa qualité principale, son ancienne co-détenue et amie Wejdan Nassif dira: « Le soin, c’est ce qui caractérise le mieux Samira. Prendre soin, s’occuper des autres, leur apporter soutien et énergie, c’est ce qu’elle m’a également exprimé, tout au long de notre histoire d’amitié et de camaraderie. Samira est la dame des petits détails qui rendent la vie supportable.»

Lui, c’est Yassin al-Haj Saleh. Un Syrien épris de liberté et de justice. À cause de cela, il a subi la torture sous le régime de Hafez el-Assad et un emprisonnement qui lui a ôté 16 des plus belles années de sa jeunesse, pour son appartenance au parti communiste – bureau politique. Sa rencontre avec Samira a scellé l’union de trajectoires de deux âmes jumelles, avides de célébrer la vie et rattraper le temps perdu. 

C’est l’histoire d’une fleur bleue…

Attachée de presse dans une maison d’édition, Adélaïde mène une vie de femme émancipée. Après bien des années de vie de couple, elle sent cependant son cœur muer et les derniers lambeaux d’amour pour son compagnon se volatiliser. Elle décide alors de divorcer pour offrir à son cœur à la peau neuve d’autres émois.

Passé les premiers moments où elle redécouvre les petits plaisirs de la vie en solitaire dans un espace qui n’appartient qu’à elle et son chat, Adélaïde, entourée de ses amies part en quête de nouvelles sensations, à la conquête de cœurs à prendre. C’est alors, et après maintes déconvenues, qu’elle réalise que les probabilités pour une femme de rencontrer l’âme sœur s’amenuisent à mesure que celle-ci avance en âge. Aujourd’hui, elle devient un produit obsolète, la régression la guette. Elle est assujettie. « C’est l’histoire d’une fleur bleue, qui se dessèche coincée, entre deux pages.  (…) une femme qui a quarante-six ans voit disparaître l’aura qu’elle avait jeune fille ».

dimanche 24 janvier 2021

Quand se soumettre n’est pas consentir

“La patience cuit la pierre » c’est par ce proverbe peul que l’écrivaine Djaili Amadou Amal ouvre son roman « Les impatientes » (Editions Emanuelle Collas, 2019), comme pour préparer ses lecteur.ice.s à une histoire aussi dure à entendre qu’à croire. Pourtant cette fiction est inspirée de faits réels, vécus ou recueillis par l’écrivaine. Il s’agit d’histoires de sœurs, de cousines, de tantes, de femmes de la société tout entière soumise à la domination patriarcale.