Pourtant qu’elles soient mères ou épouses de prisonniers ou disparus, qu’elles soient militantes voire simple citoyennes, elles ont le plus souvent figuré courageusement parmi les mouvements de contestation sans que cela ne se répercute véritablement sur leur condition. Par Nadia Aissaoui et Ziad Majed pour Mediapart.fr
Pour prendre l’exemple de la Tunisie et de l’Egypte où les révolutions ont ébranlé deux dictatures, la question de la reconnaissance des droits des femmes demeure problématique. Les organisations de femmes égyptiennes font face au puissant conservatisme de la société et de la majorité des forces politiques qui opèrent un retour en force après la parenthèse euphorique de la place Tahrir durant laquelle hommes et femmes militaient, débattaient et même dormaient côte à côte.
Quant aux tunisiennes dont le sort (du point de vue des lois) est le plus enviable dans le monde arabe, elles ont parfaitement conscience que leur avenir se joue maintenant. Elles ont obtenu la possibilité d’inscrire la parité homme-femme sur les listes électorales comme règle pour les prochaines élections législatives. C’est une avancée non négligeable qui pourrait si elle était couronnée de succès produire des effets décisifs dans la représentation politique dans le pays. Pourtant elles invitent à considérer le cas tunisien avec prudence. Non seulement elles constatent que la question des femmes reste secondaire dans les débats entre les « progressistes » mais elles voient monter certaines forces islamistes qui elles, évoquent la possibilité de remettre en question le code du statut personnel promulgué par le président Bourguiba en 1956.
Diaporama montrant la participation des femmes dans les révolutions.
Diaporama montrant la participation des femmes dans les révolutions.
Constats et défis
Face aux nombreux défis qui les attendent, les organisations de femmes en Tunisie, en Egypte comme dans d’autres pays arabes prennent la mesure de l’ampleur de la tâche qui leur incombe et entendent se mobiliser davantage pour tenter de tirer un tant soit peu profit de l’atmosphère révolutionnaire qui imprègne la région. Elles savent toutefois l’importance à accorder à un travail de réflexion minutieux sur les stratégies à adopter pour mener à bien leur projet dans les contextes de leurs sociétés respectives. C’est semble-t-il un aspect souvent manquant puisque les organisations de femmes se sont dans la plupart des cas formées pour pallier au plus urgent, dans des conditions économiques rarement favorables et des conditions politiques hostiles à leur développement. C’est clairement de stratégies politiques, économiques et médiatiques dont les femmes ont besoin pour se rendre visibles et efficaces.
Dans ce moment charnière de l’histoire contemporaine du monde arabe, de nombreuses rencontres et conférences ont eu et continuent d’avoir lieu pour mettre en place cette réflexion et l’inscrire dans un cadre d’échange d’expériences régional. Il serait judicieux que les femmes posent un diagnostic aussi réaliste et large que possible. Il permettrait stratégiquement parlant de mettre en place une démarche cohérente et inscrite dans la réalité sociale et politique de leurs sociétés.
A cet effet, il serait bon de rappeler quelques constats de base:
Néo-patriarcat: L’avènement du concept de la modernité et de l’Etat-nation hérités de (ou imposés par) l’occident n’ont transformé la plupart des sociétés que de façon superficielle. La modernité couplée au patriarcat a donné naissance à ce que Hisham Sharabi appelle le néopatriarcat. Ainsi il affirme que « au cours des cent dernières années, les structures patriarcales des sociétés arabes, loin d’avoir été bousculées ou profondément modernisées, n’ont été que renforcées et conservées sous une forme altérée de modernisation ». Les structures communautaires et tribales ainsi que les pratiques sociales ont été conservées dans plusieurs pays malgré la présence de l’Etat. Ce dernier, loin de construire des relations horizontales donc démocratiques avec ces citoyens, n’a fait que remplacer l’autorité du père ou du chef en maintenant des liens verticaux. Sharabi ajoute à ce sujet «qu’elle soit conservatrice ou «progressiste », un trait psychosocial central de ce type de société est la prédominance du Père (Patriarche), centre autour duquel est organisée la famille naturelle ou nationale (…) dans les deux cas la volonté paternelle est absolue, avec pour seule médiation dans la société comme en famille, un consensus forcé basé sur le rituel et la coercition ».
Si le processus de démocratisation s’enclenche véritablement, on peut espérer que la verticalité du rapport hiérarchique s’affaiblisse et ouvre des brèches pour une construction citoyenne où les femmes pourraient prendre leur place. Mais c’est sans compter sur la persistance de la mentalité communautaire qui pourrait dans un mouvement de peur être amenée à se renforcer.
Primauté du communautaire/religieux sur l’individu : Les femmes sont considérées comme les gardiennes de la tradition puisque leur est attribué d’emblée un rôle d’éducation et de transmission des valeurs. La plupart d’entre-elles son elles-mêmes prisonnières de cette logique. Il ne faut dès lors pas s’étonner de voir les femmes renvoyées à ce rôle conservateur garant de la pérennité de l’identité familiale et communautaire. Elles sont appelées en renfort lorsque les enjeux dépassent le strict cadre de la famille ou du clan sans pour autant qu’elles soient autorisées à revendiquer leur propre émancipation. Cette dernière déclenche des réflexes d’enfermement et de contrôle de ce qui est considéré comme le pilier de la structure familiale.
Faiblesse de la conscience collective chez les femmes : Après des siècles de domination, une majorité de femmes a intégré et reproduit des modèles qui consacrent leur infériorité. L’édifice patriarcal repose en grande partie sur ce rapport de force défavorable aux femmes et ne manque pas de vaciller à chaque fois que les femmes cherchent à le remettre en question. Les facettes de la domination sont multiples, cependant elles partagent un trait commun qui est celui de l’exercice de la violence. Qu’elle soit idéelle, physique, symbolique ou économique, elle maintient en permanence les femmes dans une situation de peur permanente de défier le système dominant. Les mécanismes de domination du plus pernicieux au plus explicite enferment les femmes dans un maillage qui brouille la conscience qu’elles pourraient avoir d’elles-mêmes. Maintenues dans une dépendance économique (la majorité de celles qui travaillent ne peuvent subvenir seules aux besoins de leur famille) et dans la peur de toutes les formes de violences qui pourraient s’exercer sur elles, les femmes en majorité acceptent leur sort et vivent avec cette réalité ou bien gardent le silence parce qu’elles n’ont pas véritablement d’alternatives face à la pression sociale ou à l’inconnu.
Caractère international de la discrimination faite aux femmes : il ne faut pas perdre de vue que les discriminations faites aux femmes ont un caractère universel. Elles existent dans la majorité des sociétés y compris les plus modernes. Les tabous sur la sexualité, le contrôle du corps et l’accès des femmes à la sphère publique se retrouvent en filigrane dans l’organisation sociale et politique. C’est donc d’un engagement permanent et de longue haleine qu’il s’agit pour arracher des droits et préserver les acquis.
A partir de là découlent un certain nombre de défis auxquels sont confrontées les féministes dans le monde arabe :
Apporter du sang nouveau aux effectifs et assurer la transmission : La nouvelle génération porte en elle un potentiel formidable de changement. De plus en plus éduquée, plus aguerrie aux outils de communication et donc plus ouverte sur le monde extérieur, elle peut en se référant à l’expérience de ses ainées constituer un levier de transformation sociale et politique.
Sortir du discours de la victimisation : Le discours féministe gagnerait à se renouveler et dépasser la tendance à cantonner les femmes dans une posture de victime. Cela n’exclue pas la reconnaissance nécessaire de ce statut pour celles qui subissent de plein fouet les violences de la société. Mais ce changement de posture les sort d’une position passive et impuissante et s’adresse à leur potentiel « adulte » qui les incite à trouver en elles les ressources, la mobilisation et les stratégies pour s’en sortir. De plus il invite les femmes à se penser comme des sujets à part entière et c’est précisément cette mutation philosophique qui engendre la citoyenneté.
Mobiliser des ressources économiques : Cette question est souvent au cœur des débats des organisations de femmes qui souffrent majoritairement à la fois de manque de ressources mais aussi de capacités à aller les chercher. Certaines l’expliquent par les obstacles objectifs mis par les autorités et autres institutions qui ne valorisent pas l’action des organisations de femmes, d’autres l’expliquent par le rapport compliqué qu’entretiennent généralement les femmes avec l’argent et puis il y a celles qui établissent clairement le manque de formation adéquate destinée à capter les financements. Quoiqu’il en soit et c’est sans doute ces trois facteurs combinés qui sont à l’œuvre, la question économique est un élément central dans le développement des mouvements de femmes et nécessite de ce fait une attention particulière pour garantir leur pérennité.
Maitriser les outils de communication : Nul besoin de le démontrer, les outils de communication ont été des leviers centraux dans la conduite des révolutions. Les femmes ont besoin à la fois de maitriser la communication pour diffuser leur discours mais aussi pour tisser des réseaux aussi larges et interactifs que possible (syndicats, mouvements sociaux, formations politiques, médias, intellectuels, etc...). La visibilité contribue à briser le sentiment d’isolement et d’impuissance et permet de peser sur l’opinion publique et sur les politiques.
Faire appel autant que possible aux législations internationales : Les conventions internationales telles que la CEDAW signées et ratifiées par les pays arabes constituent un outil juridique précieux qui devrait être davantage vulgarisé et exploité même si la majorité des pays arabes ont émis des réserves sur certains articles.
Les femmes arabes feront-elles leur révolution ?
L’expérience récente a montré que les systèmes les plus verrouillés et les plus sclérosés ont fini par voler en éclats. Toutes les révolutions sont nées avec l’effondrement du mur de la peur. Les femmes saisiront-elle cette formidable opportunité pour s’affranchir à leur tour de leurs peurs et faire leur propre révolution ? Des signes encourageants nous incitent à l’optimisme quant à la mobilisation pour la cause des femmes. La démocratisation des moyens de communication et la visibilité qui en découle en ce moment seraient une opportunité favorable à la consolidation des mouvements de femmes et l’élargissement de leurs alliances. De plus la présence massive de la jeune génération dans les places publiques du Caire, de Tunis, de Sanâa augure déjà une bonne disposition à la mobilisation.
Nous ne sommes pas au bout de nos surprises dans ce monde arabe, et qui sait peut être que la cerise du gâteau nous sera offerte par un éventuel coup d’envoi de la rébellion des femmes à partir de l’Arabie Saoudite le 17 juin 2011.
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