jeudi 1 décembre 2022

Brigitte Giraud : Questionner le destin

La perte brutale d’un être cher ouvre un gouffre béant qui, à défaut ou en attendant d’être colmaté par le processus du deuil et de l’acceptation, laisse s’échapper, telle une lave en fusion, des interrogations lancinantes et de la culpabilité. Dans ce temps suspendu, les questions obsédantes emboîtent le pas à la sidération. Comment continuer à vivre après la perte de l’être cher ? Pourquoi lui, pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Et si ce jour-là, par une sorte d’intuition, de choix différents, il avait été possible d’altérer le destin ?

 

dimanche 7 août 2022

De corps et d’exils

Le dernier récit que nous livre l’écrivaine Fawzia Zouari s’apparente à un long voyage trouvant sa source dans les territoires de l’enfance et du féminin. Le corps des femmes constitue la trame principale sur laquelle vont venir se déposer des souvenirs, des peurs, de la cruauté, de l’affection et de la nostalgie.

De sa Tunisie natale, plus précisément de son village, Ebba, l’autrice se raconte, enfant au lendemain de l’indépendance, dans cet entre-deux encore imprégné de présence coloniale et en transition vers un destin aux promesses multiples. Le sien la mènera de l’autre côté de la Méditerranée par un chemin qui relève du miracle tant les obstacles à l’être femme étaient innombrables à l’époque.

À Ebba, l’espace privé et l’espace public étaient strictement délimités. «Le monde se divisait en deux dans mon village. Il y avait les femmes avec leurs silhouettes ajourées, leurs incantations, leurs douleurs, leurs pouvoirs domestiques mais aussi leur mystère nimbé de silences perfides et de larmes. Et il y avait les hommes régnant à l’extérieur, complexes, aventureux, puissants, imprévisibles.»

mardi 12 juillet 2022

Transsexualité: Histoire d’une douloureuse traversée

Alors que le phénomène de la transsexualité devient de plus en plus visible, il garde toutefois une part importante de tabou et de résistances dans la plupart des sociétés. Ce livre est un récit inspiré de la réalité. Il nous immerge dans une douloureuse aventure transgenre d’un adolescent koweitien, Rayyan, dont l’assignation au genre féminin a été source de mal-être à mesure que la puberté marquait son corps.

Soutenu par sa mère et sa meilleure amie Jawa, Rayyan décide de procéder à des analyses médicales pour comprendre l’origine de son malaise et surtout pour confirmer son sentiment d’être un homme dans un corps de femme. Il apprend qu’il est effectivement atteint d’une anomalie génétique qui confirme son sentiment. Le monde entier se dérobe sous ses pieds à cette annonce, car il comprend que la transformation physique est inéluctable et qu’elle risque de changer radicalement son rapport au monde. «A mesure que j’entendais les paroles du médecin, une peur étrange s’immisçait en moi. Ma vie allait complètement changer: j’allais m’arracher du corps de cette jeune femme que j’avais toujours connue et dans lequel j’avais vécu pendant quinze ans pour vivre dans la peau d’un garçon que je ne connaissais pas!».

samedi 4 juin 2022

La brèche du désir

Le septième roman de Habib Selmi, écrivain tunisien, fait partie des textes qui nous accrochent dès la première page pour ne nous lâcher qu’à la dernière. Il y raconte une histoire d’amour, mais pas n’importe laquelle.

Kamal Achour, un soixantenaire d’origine tunisienne marié à Brigitte, est professeur de mathématiques à l’université. Il coule des jours plutôt paisibles avec son statut d’homme installé dans la vie et intégré dans la société française. Tous les jours, dans son immeuble Haussmanien, il croise Zahra sa voisine du dessus. Elle est tunisienne comme lui, cinquantenaire, mariée avec un enfant handicapé. Zahra est analphabète, elle fait des ménages et s’occupe de la vieille voisine de palier de Kamal. Ce dernier ne l’avait jamais vraiment remarquée avant d’échanger un jour avec elle quelques mots dans leur langue natale commune.

Au fil des jours s’installe un rituel qui, à chaque rencontre, tisse un peu plus un lien d’une nature particulière. Cette femme qui, au demeurant ne partage rien d’autre que la langue avec lui, commence peu à peu à occuper son esprit lorsqu’un jour au hasard d’une proximité furtive il fut confronté à son corps et aux effluves qui s’en dégagent. 

samedi 7 mai 2022

Porter le Nil sans se noyer

«Je ne savais pas, que les corps des femmes étaient destinés à être des musées de tragédies, comme si nous devions porter la mer sans nous noyer!», tel est l’extrait du poème de la nigériane Hjeoma Umebinyuo inaugurant le quatrième roman de l’écrivain soudanais Hammour Ziada, récompensé du prix Naguib Mahfouz en 2014, et traduit aujourd’hui en français.  

Nous sommes en mai 1969, alors que le Soudan connait un coup d’Etat, les habitants du village de Hadjar Narti situé à «deux jours et demi en bus» de la capitale Khartoum repêchent le corps d’une femme flottant sur le Nil. Ce n’est pas la première fois que ce dernier remonte à sa surface des cadavres féminins dont la destinée prend brutalement fin sur ces berges. L’agitation s’empare du village et une période de deux jours est fixée pour l’identifier avant l’enterremen

A Hadjar Narti, deux clans rivaux, les Badri et les Nayer se disputent depuis l’indépendance le pouvoir politique et les terres. Cette rivalité n’empêche pourtant pas des histoires d’amour de se nouer, ni même des alliances de se passer via l’échange de femmes dans un but stratégique de récupération de capitaux.

lundi 7 mars 2022

La trahison du désir

Dans son roman «Comme un désir qui ne veut pas mourir» (Sindbad/Actes Sud 2022), paru en arabe en 2007, qui fit scandale, et censuré dans plusieurs pays, Alia Mamdouh aborde la question de l’intime et du politique en explorant parfois à l’extrême «la relation entre le corps, le sexe, la culture, l’autorité, le pouvoir et le langage». 

Son œuvre est pour elle une façon de faire le deuil de ses propres morts mais aussi de dire la manière dont le culte de la virilité et la domination masculine coiffées d’impuissance, minent les conditions de possibilité de «l’amour» dans la société irakienne.  

lundi 10 janvier 2022

Des pères et des fils

«Un grand-père qui est un père est de retour dans un pays qu’il n’a jamais quitté». C’est par cette phrase pour le moins énigmatique que l’écrivain suédois Jonas Hassen Khemiri commence à dérouler le fil d’une histoire familiale singulièrement captivante.

Par une journée d’hiver glaciale, un vieil homme débarque pour une dizaine de jours à Stockholm où vivent ses deux enfants. Le fils, lui-même père, est en congé parental d’un an afin de s’occuper du dernier né. La fille qui est aussi une mère, mais privée de son enfant traverse une période de doute et d’interrogations.

Le roman se déroule sur une temporalité liée au séjour du vieux. Les dix jours qui constituent les chapitres de ce récit, sont en effet la durée qui lui est nécessaire pour régulariser sa situation dans le pays et surtout renouveler la clause paternelle contractée avec le fils. Celle-ci consistant pour ce dernier à gérer la situation administrative et financière du père durant son séjour dans son pays d’origine.  Dans ce laps de temps, les liens familiaux autour du père, du fils et de la fille sont passés à l’épreuve de l’absence.