Vingt ans après la mort brutale de son compagnon, Brigitte Giraud revient dans Vivre vite sur les circonstances qui ont précédé l’accident, en égrenant une litanie de « si » autour d’évènements et de décisions qui, mis bout à bout, ont conduit à ce tragique destin.
Tout commence par le désir entêtant de la protagoniste à acheter une maison alors que de nombreux obstacles s’étaient érigés tels des signes invisibles pour l’en dissuader. C’est dans le garage de cette propriété que la moto coupable de son frère avait été temporairement entreposée.
« Et si je n’avais pas voulu vendre l’appartement, si je ne m’étais pas entêtée à visiter cette maison, si mon frère n’y avait pas garé sa moto pendant sa semaine de vacances, si il avait plu ce jour-là, si j’avais eu un téléphone portable… » Ainsi s’enchaînent seize chapitres à l’occasion desquels l’autrice revisite inlassablement le souvenir, en quête du moindre détail qui aurait pu lui donner l’alerte. Chaque partie du récit part d’un « si » et raconte un bout d’histoire. Celle d’une époque particulière, du siècle finissant (nous sommes en 1999), avant le tout numérique, avant que le rapport à la technologie et aux supports culturels n’opère une révolution sans précédent. L’autrice interroge le rapport à la mondialisation galopante, celle qui noie le désir de toute chose et sature par la consommation effrénée des espaces qui autrefois permettaient d’élaborer un imaginaire propre à soi. Son imaginaire à elle, avec son fils et son compagnon était rythmé par la vie simple, le rock et la littérature. Une vie bénie où tout était possible et qui promettait un avenir radieux pour cette famille avant que le destin n’en décide autrement.
L’écrivaine n’en est pas à son premier livre concernant le thème du deuil. Deux ans après le drame elle publie À présent qui questionne la violence et la brutalité de la disparition. Alors que Vivre vite explore l’accident qui surgit à l’issue d’un effet domino d’une série de circonstances qui y ont mené. Elle en décortique minutieusement les détails, dresse le décor et appelle à témoin une galerie de portraits de personnages qui de près ou de loin, ont eu quelque chose à voir avec l’accident dans l’espoir vain de conjurer le sort. « Ça fait vingt ans et je dois me résoudre à rendre les armes. Quitter la maison c’est aussi te laisser filer (…) La nature qui m’entoure se changera en béton et le paysage disparaîtra. Comme disparaît parfois le son de ta voix, après ce si long voyage. »
Ressusciter l’être aimé le temps d’un livre, le temps de vendre cette maison qui n’aura pas connu de bonheur, c’est comme faire un dernier tour du propriétaire avant de tourner définitivement cette page d’histoire brutalement interrompue un 22 juin 1999. L’autrice écrit pour faire son deuil et pour vivre avec l’absence. Elle écrit aussi pour chercher la vérité qu’elle se dit prête enfin à recevoir.
Ce quatorzième ouvrage de Brigitte Giraud a obtenu le prix Goncourt à l’issue d’un vote très serré de cinq voix partout contre l’autre finaliste Giuliano Da Empoli (après les quatorze tours de vote réglementaires tranchés par la voix décisive du président de l’Académie). Les jurés ont rarement été autant partagés entre un récit de l’intime et un roman historique Le Mage du Kremlin plus en phase avec l’actualité.
Treizième femme en cent vingt ans à décrocher le prestigieux prix, Brigitte Giraud a, par son écriture sensible du récit personnel, voulu donner une dimension collective à sa tentative d’exorciser la douleur et le manque par l’écriture. L’histoire de son deuil résonne indubitablement en toute personne ayant traversé l’épreuve de la perte brutale et les tentatives incessantes et parfois obsédantes de mettre du sens là où il n’y en pas.
Vivre vite de Brigitte Giraud, Flammarion, 2022, 208 p.
Nadia L. Aissaoui
Article publié dans l'Orient Littéraire, décembre 2022.
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