Après
son anthologie sur les musiques arabes en 2020, elle publie en 2024 Paris en
lettres arabes dans lequel elle examine les mouvements d’idées, de styles et
d’influences, au croisement de l’art, de la politique et du savoir. Elle
retrace les nombreuses interactions entre Paris et les intellectuels arabes, en
mettant en lumière les paradoxes et la complexité de ces relations depuis plus
de treize siècles.
L’écrivaine entreprend donc un voyage dans le temps en explorant une documentation riche en anecdotes. De l’époque de Charlemagne, avec l’éléphant blanc offert au IXe siècle par le calife abbaside Haroun al-Rachid symbolisant les prémices d’un dialogue entre les deux civilisations, à l’introduction du café en France au XVIIe siècle par Soliman Aga, ambassadeur ottoman, qui fit découvrir ce breuvage tout en initiant l’apparition des cafés comme lieux de rencontre, jusqu’à l’influence contemporaine des écrivains arabes à Paris, l’ouvrage parcourt des relations caractérisées par une fascination réciproque et des dynamiques culturelles complexes.
Houssais s’intéresse particulièrement aux lettrés, artistes, militants, voyageurs, et figures littéraires arabes qui ont marqué l’histoire parisienne, évoquant des personnalités emblématiques comme al-Tahtawi, intellectuel égyptien, ou Gibran Khalil Gibran, poète libanais. Elle rend également hommage aux femmes, souvent marginalisées par l’histoire littéraire, en citant notamment des écrivaines comme Fawzia Assaad dont l’œuvre enrichit le patrimoine franco-arabe.
Paris,
carrefour culturel et littéraire
Paris apparaît comme un carrefour où les idées circulent librement, en particulier à partir de la fin du XIXe et tout au long du XXe siècle. La capitale française devient aussi un espace de liberté pour les intellectuels et exilés arabes, leur offrant un lieu d’expression et de rencontres. Toutefois, l’autrice souligne le paradoxe d’une fascination pour une France à la fois admirée et critiquée pour son histoire coloniale. Paris se présente ainsi comme un double symbole : une ouverture à la modernité, mais aussi un centre de pouvoir cherchant à imposer son influence.
Coline Houssais aborde aussi les injustices historiques, notamment en matière de traduction, en mettant en lumière les contributions des érudits arabes invisibilisés, comme celle de Hanna Dyâb dans la traduction des Mille et Une Nuits, un apport crucial occulté au profit de l’orientaliste Antoine Galland.
Une
large part de la réflexion de la chercheuse est consacrée à l’importance de la
traduction qui a permis de créer des passerelles culturelles entre le monde
arabe et la France. D’ailleurs, la littérature arabophone continue aujourd’hui
d’enrichir le paysage littéraire parisien tout en étant influencée par les
courants intellectuels européens.
Paris et l’imaginaire arabe
Enfin,
la chercheuse souligne la dimension symbolique de Paris dans l’imaginaire arabe
contemporain. La ville demeure une source d’inspiration pour les écrivains et
penseurs de l’autre côté de la méditerranée qui y voient un lieu de créativité
et de découvertes intellectuelles. Les œuvres actuelles illustrent cette
hybridité culturelle, mêlant les traditions narratives arabes à l’influence
franco-parisienne. Les écrivains arabophones s’approprient et transforment les
codes littéraires français tout en restant attachés à leur héritage, témoignant
d’un métissage riche et fécond. L’autrice conclut sur la nécessité de
reconnaître cette histoire partagée dans le paysage urbain parisien, en
intégrant des références aux contributions arabes dans les monuments et les
bâtiments de la ville.
Coline Houssais offre une réflexion érudite et personnelle d’une grande pertinence face à l’actualité marquée par la montée du racisme, des clivages qui se veulent identitaires et des rapports de domination coloniale.
Véritable rappel utile et approprié, Paris en lettres arabes invite à revisiter et à préserver ce qu’il y a de plus noble dans la mémoire commune et collective franco-arabe.
Paris en lettres arabes de Coline Houssais, Actes Sud, 2024, 256 p.
Nadia L. Aissaoui
Article publié dans l'Orient Littéraire, Novembre 2024
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