Alors que le phénomène de la transsexualité devient de plus en plus visible, il garde toutefois une part importante de tabou et de résistances dans la plupart des sociétés. Ce livre est un récit inspiré de la réalité. Il nous immerge dans une douloureuse aventure transgenre d’un adolescent koweitien, Rayyan, dont l’assignation au genre féminin a été source de mal-être à mesure que la puberté marquait son corps.
Soutenu par sa mère et sa meilleure amie Jawa, Rayyan décide de procéder à des analyses médicales pour comprendre l’origine de son malaise et surtout pour confirmer son sentiment d’être un homme dans un corps de femme. Il apprend qu’il est effectivement atteint d’une anomalie génétique qui confirme son sentiment. Le monde entier se dérobe sous ses pieds à cette annonce, car il comprend que la transformation physique est inéluctable et qu’elle risque de changer radicalement son rapport au monde. «A mesure que j’entendais les paroles du médecin, une peur étrange s’immisçait en moi. Ma vie allait complètement changer: j’allais m’arracher du corps de cette jeune femme que j’avais toujours connue et dans lequel j’avais vécu pendant quinze ans pour vivre dans la peau d’un garçon que je ne connaissais pas!».
Métamorphose et exil intérieur
Rayyan tient un journal qui nous fait vivre dans les
moindres détails sa mue physique et psychologique avec toutes les conséquences
parfois inattendues qu’elle a pu engendrer. Il devra «se considérer comme
un homme dans les actes, dans les paroles, dans les vêtements, dans les
sentiments et même dans les rêves» selon son médecin. C’est loin d’être
chose simple. Il lui a fallu affronter la colère immense puis le désaveu du
père dont le sens traditionnel de l’honneur interdit toute manifestation
sortant du cadre conservateur de la société. Plus accablant encore, la furie
impitoyable de ses sœurs dont on ne sait si elle est mue par le chagrin de le
voir quitter le monde de la féminité, la honte du «qu’en dira-t-on»
ou bien le changement de fait des rapports hiérarchiques et ceux liés à la
nouvelle répartition de l’héritage.
Rayyan oscille entre empathie et tristesse d’imposer cette nouvelle réalité à ses sœurs. «Comment pourraient-elles désormais m’accepter comme un frère? Tout ce que nous avions en commun, notre vie avec ses futilités, nos jeux, nos souvenirs, était fondé sur le fait que j’étais leur sœur». Il éprouve encore plus de solitude à l’idée de perdre l’amour de sa sœur la plus proche, Mariam dont l’éloignement le plonge dans un questionnement sans fin. «Soudain j’avais senti une paroi de verre se dresser lentement entre nous. Qui étais-je donc? Cette Rayyane qui haïssait le fait d’être une fille? Ce rayyane à qui les médecins avaient le matin même confirmé qu’il était bien un garçon?».
Mais les barrières ne sont pas seulement d’ordre symbolique. Désormais Rayyan quitte définitivement le monde féminin au sein même de sa famille, tandis que de nouvelles frontières de l’intime de dessinent. Ainsi est-il expulsé de sa chambre partagée avec sa sœur. Il doit dorénavant se passer de tous les effets personnels qui l’avaient accompagné toute sa vie (bijoux, parfum, garde-robe, livres, etc.) pour investir un espace impersonnel. Un déchirement supplémentaire dont il dit dans son journal: «Pour la première fois je sentais à quel point j’étais attaché à ma chambre. Était-ce moi qui avais habité ma chambre ou bien était-ce ma chambre qui m’avait habité pendant toutes ces années?».
Dehors, il redécouvre la rue avec des sensations
différentes. Il expérimente une liberté nouvelle de se mouvoir sans entraves dans
des périmètres moins restreints qu’autrefois. «C'était la première
fois de ma vie que je marchais tour seul dans la rue en tant qu'homme. C'était
la première fois que je marchais en fait, tant il était rare que les filles
flânent ou se promènent seules dans les rues du Koweit!»
La force du témoignage
Dans ce processus également douloureux physiquement au regard des effets secondaires du traitement hormonal et d’une chirurgie invasive, Rayyan vit son état comme une malédiction et une calamité pour sa famille. Une malédiction qui lui impose de fuir pour pouvoir vivre sa transformation car ni la société, ni la famille n’est en mesure de l’accueillir. Mais dans cet exil intérieur d’abord, la crainte la plus lancinante qu’éprouve Rayyan, c’est de perdre sa meilleure amie Jawa.
Son rayon de soleil, l’être avec lequel il voudrait passer
toute sa vie a pourtant toujours été un soutien fort. Pour elle Rayyan était
devenu Hâpy, qui chez les égyptiens, était le nom du dieu des inondations du
Nil et représenté comme un être Androgyne. Jawa est celle qui a toujours encouragé
Rayyan à tenir un journal afin de pouvoir le publier un jour. Du profond
désarroi dans lequel il est plongé, l’écriture donne du sens à sa souffrance.
Loin d’être un manifeste politique, ce récit donne à voir par le témoignage personnel, l’injustice, la cruauté mais aussi le désir de vie en accord avec son identité de genre, des personnes trans quelles que soient les sociétés. Rayyan reste malgré tout porté par l’espoir d’un avenir meilleur ailleurs, avec peut-être, Jawa à ses côtés… «Qu’il sera doux le moment où le lecteur me fera justice en toute connaissance de cause, avec probité et reconnaitra la réalité de ma douleur et de mes souffrances».
Hâpy, Histoire d’un transgenre koweïtien, par Taleb Alrefai, Editions Sindbad Actes-Sud, 2022.Nadia L. Aïssaoui
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