Alors que le régime syrien intensifie ses attaques contre les villes rebelles (Douma et Zamalka auprès de Damas, Deir Ezzour dans l’Est du pays, et Homs au centre), les affrontements militaires entre son armée et les combattants de l’Armée Libre deviennent une réalité quotidienne, même dans les banlieues de Damas. Selon plusieurs sources à l’intérieur du pays, le régime Assad ne contrôle plus que 50% du territoire syrien. Son contrôle ressemble surtout à une occupation militaire. Il suffit que les « forces d’occupation » se retirent d’une ville après l’avoir bombardée puis envahie pour que les manifestations contre le régime reprennent et pour que les combattants de l’Armée Libre qui s’étaient retirés s’y redéployent. Cela explique en partie la férocité des bombardements qui ressemblent souvent à un acte de vengeance, faisant depuis le 25 juin dernier plus de 500 morts.
Les défections dans l’armée s’accentuent. Elles touchent de plus en plus des officiers (5 hauts gradés sont arrivés dernièrement en Turquie) et des pilotes (l’un a même pu atterrir avec son Mig 21 en Jordanie), et permettent souvent un élargissement du réseau de l’opposition militaire et de leurs contacts. L’efficacité de certaines attaques et embuscades menées par l’Armée Libre est certainement reliée à ce phénomène important. Il a également rendu possible la capture de deux généraux de l’armée du régime, y compris le chef du redoutable centre de détention à Damas (« le centre de Palestine ») où des milliers de détenus subissent toujours les pires traitements (il s’agit du Général des services de renseignement Mounir Ahmad Chleibi).
La lutte pacifique se maintient
En parallèle à cette montée de la composante militaire de la révolution qui s’organise et semble être depuis quelques semaines mieux équipée, la contestation pacifique ne faiblit pas non plus. Une moyenne variant entre 700 et 900 manifestations par vendredi de mobilisation a été observée en juin 2012, des journaux mensuels, un travail de documentation sur les martyrs et les détenus, des associations de secours populaire aux familles déplacées, des cliniques de fortune et des initiatives citoyennes naissent quotidiennement. Souvent clandestins, les coordinateurs de ce travail qui reflète l’émergence d’une société civile laminée pendant des décennies par le pouvoir des Assad, sont une cible prioritaire des « services sécuritaires » du régime. Ainsi, des médecins (comme Mohamad Arab d’Alep), psychiatres (comme Jalal Nawfal), journalistes (comme Mazen Darwish), activistes (comme Ali Othman, l’organisateur du centre de presse de Baba Amr qui accueillait les journalistes étrangers), juristes et étudiants sont arrêtés. Trois étudiants en médecine sont morts sous la torture le mois dernier (voir le rapport d’Amnesty sur leur cas).
Campagne pour la libération des avocats détenus depuis des mois dans les prisons syriennes.
La propagande du régime: Jihadistes et Minorités chrétiennes
Isolé sur la scène internationale, affaibli et assiégé à l’intérieur du pays malgré sa puissance de feu et sa machine de mort, le régime de Damas essaye toujours de jouer deux cartes qu’il considère « importantes » pour l’occident.
La première est celle des « jihadistes » qu’il accuse d’être ses seuls opposants (abandonnant pour le coup sa théorie du complot impérialiste et sioniste). La seconde, liée à cette première, est celle des « minorités menacées », notamment la minorité chrétienne.
Concernant la question « jihadiste », tous les témoignages des activistes et militants syriens parlent de petits groupuscules, marginaux, sans pouvoir politique et souvent sans contact avec la société. Il s’agit de combattants présents dans la région d’Idlib qui n’influencent en rien le cours des événements (lire notre traduction de l’article de Yassin Al-Hajj Saleh sur les phases de la militarisation de la révolution).
La propagande de Damas cherche à amplifier la question, et essaye de manipuler les faits pour attribuer à des groupes (parfois fictifs) des opérations et des attentats. François Burgat (politologue, est directeur de l’Institut français du Proche-Orient) et Romain Caillet (doctorant d’histoire contemporaine) présentent une lecture fort intéressante de ce qu’ils appellent « la fabrique syrienne du jihadisme ». Ils montrent comment un groupe « Jabhat an-Nusra » qui a revendiqué certains attentats sert en effet les intérêts d’un régime expérimenté dans la manipulation des groupes jihadistes et qui les a déjà utilisés dans la région (lire l’intégralité de leur texte « Le groupe Jabhat an-Nusra : la fabrique syrienne du “jihadisme” », Les Carnets de l’Ifpo).
Quant à la question « chrétienne », il est clair que le régime syrien essaye à tout prix, en utilisant parfois des religieux et religieuses (comme Mgr Jeanbart d'Alep, le patriarche grec-melkite-catholique Gregorios III et surtout la Mère Agnès-Mariam de la Croix), de dire « que les chrétiens sont traqués par les forces révolutionnaires qui veulent leur éradication ». Cela procède de la désinformation comme l’a signalé Mgr Mario Zenari, nonce apostolique à Damas, lors de la réunion annuelle des associations catholiques à Rome sur la Syrie et les chrétiens du "Proche Orient" le 21 juin dernier. Le texte ci-dessous a été rédigé par une personnalité européenne ayant requis l’anonymat, qui a assisté à la réunion et en a fait un compte-rendu détaillé.
« Chers amis qui êtes attentifs à la situation des chrétiens d'Orient. Je reviens de Rome, où j'ai assisté à la réunion annuelle des Associations d'aide catholiques aux chrétiens du Proche-Orient (ROACO). Nous avons eu hier une rencontre avec le Pape, qui a lancé un appel en faveur de la paix en Syrie. Vous en trouverez un bon compte rendu dans cet article de La Croix.
La veille, nous avions rencontré toute la matinée Mgr Mario Zenari, nonce apostolique à Damas, évoqué aussi dans cet article, avec lequel nous avons eu un échange passionnant et très éclairant. Mgr Zenari est un de ces grands formats de la diplomatie vaticane, à l'information extrêmement dense et aux jugements nuancés. Il fut en poste précédemment en Côte d'Ivoire et au Sri Lanka, c'est dire s'il peut apprécier les dynamiques perverses à l'œuvre dans des pays qui sont en proie à un processus de guerre civile. S'agissant de la Syrie, il nous en a dit beaucoup plus que ce qu'a retenu l'article de La Croix à partir d'une brève interview sur Radio-Vatican. Je soulignerai quelques points sur lesquels j'attire votre attention et dont vous pouvez relayer la substance :
1°) L'insurrection est une vraie insurrection populaire, contre un régime dictatorial sanglant ayant favorisé depuis longtemps un réseau de corruption éhonté et ayant continûment brimé les libertés individuelles. Elle n'était cependant pas attendue, car la situation économique était plutôt satisfaisante, comparée à celle de pays voisins, et certains progrès avaient été enregistrés dans le sens d'une moins grande férocité du régime.
2°) Qu'il y ait des éléments salafistes et étrangers infiltrés dans l'insurrection, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Mais dans leur majorité, les cadres de l'insurrection ne sont pas radicaux et certainement pas anti-chrétiens. Mgr Zenari a continué et continue à avoir avec eux d'excellentes relations.
3°) Il n'y a pas de chasse systématique aux chrétiens de la part des insurgés. Même à Homs ou à Qusayr, où la situation extrêmement critique est due aussi à des problèmes de rivalités inter-tribales voire maffieuses qui ne datent pas d'hier. Des chrétiens ont été victimes de bombardements ou d'escarmouches, comme beaucoup de sunnites ou d'alaouites, mais ils n'étaient pas ciblés comme chrétiens. Aucun sanctuaire chrétien n'a été attaqué en tant que tel. Mgr Zenari confirme que la rhétorique alarmiste que certains hiérarques (comme Mgr Jeanbart d'Alep, et même, hélas, le patriarche grec-melkite-catholique Gregorios III) ou religieu(se)s (comme Mère Agnès-Mariam de la Croix) prétendant que les chrétiens sont traqués par les forces révolutionnaires qui veulent leur éradication procède de la désinformation. Certaines personnalités ecclésiales sont manifestement stipendiées ou manipulées par le régime pour attiser les rumeurs le présentant comme le seul défenseur de la minorité chrétienne et soulever le spectre d'un scénario à l'irakienne. Leur attitude confine à la collaboration, qu'ils pourraient payer très cher.
4°) Mgr Zenari nous a donné maints exemples d'extraordinaires actes de solidarité entre chrétiens et musulmans au plus fort de la tourmente. Il précise que loin d'être "persécutés", les chrétiens, du moins jusqu'à présent, sont plutôt respectés et ménagés, tant par l'armée que par les forces insurrectionnelles. Il suffit d'être reconnu comme chrétien à un barrage ou à un check point pour éviter toute difficulté majeure.
5°) Les membres de la ROACO et la hiérarchie catholique attirent l'attention sur l'activisme du prétendu Mgr Philippe Tournyol Clos, "évêque de l'Eglise grecque-melkite-catholique", dont énormément de médias ont relayé "une mission en Syrie" au terme de laquelle il dénonce le caractère islamiste de l'insurrection, les massacres systématiques des chrétiens , la désinformation à l'œuvre dans les médias internationaux.
Mgr Tournyol Clos en appelle pour sa part au "parler vrai " et à la dénonciation du génocide dont seraient victimes les chrétiens de Syrie. Le Saint-Siège précise que ce personnage n’est absolument pas membre de la hiérarchie catholique, il n’a droit à aucun des titres dont il se revendique. Ses allégations sont fausses et manipulées. Il est tout sauf un représentant du "parler vrai". Le nonce l'a rencontré à Damas, revêtu d'habits ecclésiastiques usurpés... Le personnage lui a avoué ne s'être jamais rendu à Homs alors qu'il prétend avoir été témoin oculaire de la chasse aux chrétiens. Pendant la réunion de la Roaco, Mgr Philippe Gollnisch, directeur de l'Œuvre d'Orient, a reçu un appel d'urgence des jésuites de Homs lui demandant d'intervenir auprès du St-Siège et de l'Agence Fides, qui a reproduit les propos du pseudo Mgr Tournyol, car ceux-ci mettaient en danger les jésuites qui ont toujours tenu à maintenir le dialogue entre toutes les communautés. En fait, ledit Tournyol est un transfuge des milieux catholiques intégristes et d'extrême-droite, inconnu au bataillon de tous ceux qui ont une bonne connaissance et une longue fréquentation des chrétiens d'Orient. Il est important de relayer dès que vous le pouvez cette information et de démasquer l'imposture représentée par Tournyol Clos. Un petit détour sur le site officiel donnantla liste des évêques de l'Eglise catholique vous convaincra que ce personnage en est absent. Voilà encore un exemple frappant de manipulation venant de cercles douteux à propos de la situation en Syrie. L'Œuvre d'Orient ne devrait d'ailleurs pas tarder à diffuser un communiqué de presse.
6°) Concernant notre ami le Père Paolo Dall'Oglio, obligé de quitter le pays par ordre de son évêque, il faut savoir que cette mesure ne représente pas un désaveu de son action par le St-Siège. Seulement, comme le P. Paolo n'est pas syrien, il paraît plus sage qu'il se tienne à distance du débat. D'autre part, sa vie était en danger car ses positions en faveur du dialogue dans le respect des justes revendications de l'opposition, son refus de s'associer à la logorrhée qui, pour défendre le régime, agite l'épouvantail d'un génocide anti-chrétien, lui valaient l'inimitié dangereuse des sbires du clan Assad ».
Que faire ?
Face à une situation de plus en plus sanglante, à une barbarie dont les rapports dévoilent chaque mois les atrocités (lire ici le rapport de Human Rights watch sur la torture dans les centres de détention du régime à travers le pays), la communauté internationale de même que la ligue arabe restent toujours incapables de trouver des issues de sortie de crise.
Vidéo de HRW sur la torture en Syrie
Non seulement Moscou et Pékin bloquent toujours tout accord et toute résolution, mais les acteurs occidentaux, turques et arabes semblent également hésitants par rapport à la forme de leur engagement. Si certains sont toujours réfractaires à l’intervention militaire (Washington, Ankara et OTAN), d’autres souhaitent utiliser le Chapitre 7 de la charte onusienne dans toute nouvelle résolution (Paris et Londres surtout). Par ailleurs des pays comme le Qatar et l’Arabie Saoudite estiment que seul le soutien logistique à l’Armée Libre pourrait faire rapidement basculer la situation.
La Ligue arabe a réuni cette semaine, suite à la conférence de Genève qui a évoqué pour la première fois une transition du pouvoir (avec l’aval russe), les principales formations de l’opposition syrienne au Caire pour préparer un document présentant leur point de vue sur la forme et les procédures de la transition. Des difficultés de taille se sont posées entre les tendances libérales, de gauche, et islamiques, de même qu’entre arabes et kurdes, et entre les partisans d’une intervention internationale et ses opposants. Le seul et principal accord entre eux est celui de la nécessité de tourner la page de la dictature Assad, et de la formation d’un pouvoir de transition rassurant toutes les composantes de la société syrienne.
Dans le même temps, des représentants d’associations syriennes en exil (voir www.souriahouria.com), se sont fait l’écho des revendications de leurs collègues à l’intérieur du pays, en adressant à la réunion des « Pays amis de la Syrie » qui se tient aujourd'hui et demain (5 et 6 juillet) à Paris l’appel suivant :
« Depuis 16 mois, le peuple syrien subit une répression féroce pour avoir revendiqué son droit à la liberté après 42 années de dictature de la famille Assad.
Le bilan est sans appel : des milliers de morts, hommes, femmes et enfants ; des dizaines de milliers de prisonniers torturés et de disparus ; des centaines de milliers de personnes déplacées à l’intérieur comme vers l’extérieur du pays ; des villes assiégées, des quartiers résidentiels en ruine ; des massacres de civils délibérés qui nous rappellent les sombres moments de l’histoire de l’Humanité.
Le bilan est sans appel : des milliers de morts, hommes, femmes et enfants ; des dizaines de milliers de prisonniers torturés et de disparus ; des centaines de milliers de personnes déplacées à l’intérieur comme vers l’extérieur du pays ; des villes assiégées, des quartiers résidentiels en ruine ; des massacres de civils délibérés qui nous rappellent les sombres moments de l’histoire de l’Humanité.
Pour se maintenir au pouvoir qu’il a hérité de son père en 2000, Bachar Al Assad sème la terreur, menace de guerre civile, et crée des tensions entre les différentes composantes de la société syrienne. Par son action, il n’assure plus la stabilité du pays, bien au contraire, il la menace et met en péril la région toute entière. Et face au danger permanent de mort que vit le peuple syrien, la société civile et l’Armée Syrienne Libre tentent aujourd’hui de protéger les civils contre la barbarie du régime.
Par son manque de détermination et de fermeté, la Communauté Internationale ne semble pas en mesure jusqu’à présent de prendre des décisions à la hauteur des attentes du peuple syrien, ni à imposer le cessez le feu ni à empêcher les crimes de guerre que commet le régime (qualifiés par plusieurs organisations de crimes contre l’Humanité).
De par ses incertitudes et ambiguïtés, l’accord de Genève ne semble pas non plus répondre à cette attente. La position de fond de la Russie et de la Chine restant inchangée, le régime syrien bénéficie encore une fois d’un délai supplémentaire pour poursuivre ses massacres. La conséquence directe en 48 heures : des dizaines de morts en à Zamalka, Douma, Deir Ezzour, Deraa, Homs et autres villes et villages syriens.
Après le temps de l’indignation, vient le temps de l’action.
En tant que représentants de la société civile syrienne en France, nous nous adressons aux pays amis de la Syrie pour :
- Augmenter la pression sur la Russie, la Chine et tous les Etats membres des Nations Unies pour qu’ils prennent une position claire en faveur du départ de Bachar Al Assad, et faire cesser leurs exportations d’armes et de technologie d’espionnage vers la Syrie, ainsi que toute aide financière en faveur du régime;
- Exiger l’envoi d’observateurs et de casques bleus de l’ONU pour protéger les civils contre les forces armées du régime et ses milices, et pour permettre l’accès des associations d’aide humanitaire à toutes les zones du pays ; notamment les villes dévastées pour témoigner et y porter assistance.
- Exiger le retrait des chars et des troupes de l’armée des villes et des zones résidentielles, et la libération des détenus politiques, deux points oubliés dans le plan Annan (jamais respecté).
- Demander que le Comité International de la Croix Rouge et les ONG puissent visiter tous les centres de détention politique sur le territoire syrien pour s’assurer de la libération des dizaines de milliers de citoyens et de citoyennes vivant depuis des mois dans des conditions inhumaines.
- Demander l’ouverture de procédures d’enquête par la Cour Pénale Internationale afin d’instruire et de juger les crimes de guerre commis en Syrie.
Le temps presse pour que le régime de Bachar Al Assad cesse les massacres, les tortures, l’état de siège, et cède la place au plus vite à un État de droit auquel aspire le peuple syrien.
Le peuple syrien est déterminé à arracher sa liberté à tout prix, il ne fera aucun compromis sur ses droits humains que garantissent les chartes et les conventions internationales. Sa révolution continuera tant qu’il n’aura pas obtenu sa liberté et ses droits.
Nous faisons appel à votre responsabilité éthique et politique devant l’Histoire.
Ensemble nous pouvons sauver la Syrie ».
Ils ne comptent que sur eux-mêmes
Il ne fait aucun doute que les syriens espèrent que la communauté internationale puisse exercer son autorité morale et politique et imposer le départ du président Assad et de son régime. Ils savent néanmoins que cela n’est pas acquis et qu’ils ne doivent compter que sur eux-mêmes– comme l’expriment les communiqués des Comités de Coordination Locaux de la révolution – pour gagner leur lutte et arracher leur liberté. Si la chute imminente du despote peut paraître encore incertaine, il est cependant sûr qu’il n’a aucune chance de remporter sa guerre aveugle contre la détermination extraordinaire du peuple syrien. Ce n’est désormais qu’une question de temps. Un temps qui s’apparente à l’éternité à chaque fois que le sang est versé et qu’une vie humaine s’éteint.
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