C’est sous forme d’essai que l’historien Dominique Vidal[1] répond
au propos du président qu’il qualifie d’erreur historique et de faute
politique.
Entretien.
Le discours de Macron était pertinent et constituait une
explicitation de celui de Chirac en 1995 quant à la reconnaissance de la nature
de la responsabilité de l’Etat français dans la déportation des juifs de France.
Tout à coup, il prononce cette phrase en s’adressant sur un ton intime à son
invité, bien qu’Israël n’ait strictement rien à faire dans cette histoire. Je
ne m’aventurerai pas à chercher des explications quant aux motivations du
président. Toutefois, une telle affirmation constitue une erreur historique
totale et une faute politique aux conséquences dangereuses.
Une erreur historique, car elle nie l’histoire des juifs et
leur rapport au sionisme. Pour rappel, ce dernier avait pour visée de créer un État
juif. Or la majorité des juifs était opposée jusqu’en 1939 à un tel projet, en
Palestine ou ailleurs. Du reste, une grande partie des juifs européens qui se
sont rendus illégalement en Palestine après la deuxième guerre mondiale, puis à
partir de 1948 en Israël, l’a fait par « défaut » plutôt que par
choix sioniste. Ses survivants de l’Holocauste ne pouvaient pas retourner en
Pologne par exemple, ni s’exiler aux États Unis qui depuis les années 1920 n’accordaient
plus de visas. Même chose concernant les juifs arabes qui sont arrivés plus
tard en Israël, et qui étaient soit chassés par les gouvernements arabes, soit
importés par les responsables israéliens en quête de main d’œuvre et de chair à
canon. Quant à ceux provenant de l’Union Soviétique, ils envisageaient de
transiter par Israël pour se rendre en occident. Ils furent piégés car I. Shamir,
premier ministre de l’époque, avait conclu des accords avec les occidentaux pour
ne pas leur accorder de visas… Au final, nous avons aujourd’hui 15 millions de
juifs dans le monde, dont un peu plus de 6 millions en Israël. Faut-il donc considérer
ceux qui n’ont pas désiré s’installer en Palestine à partir de 1897 à l’appel
des sionistes, ou qui critiquent les gouvernements israéliens, comme des antisémites
car antisionistes ou peu concernés par cette idéologie ?
Concernant la dimension politique, il s’agit d’une faute qui
ouvre la porte à une dérive liberticide en France. Le président du CRIF
(Conseil Représentatif des Institutions Juives de France) appelle de ses vœux une
loi criminalisant l’antisionisme. Cela risque de créer un délit d’opinion sans
précédent depuis la guerre d’Algérie, et qui est en contradiction avec la
constitution de la 5ème république, la déclaration des droits humains
et les conventions européennes concernées.
Y-a-t-il un risque de voir voter une telle loi ?
Je ne le pense pas. Ni le président, ni le gouvernement, ni
le parlement n’auraient intérêt à prendre une telle décision. De toute façon,
le conseil constitutionnel ne la laisserait pas passer. Dans notre pays, les
lois protègent la liberté de parole, sauf concernant les propos racistes,
antisémites et négationnistes des génocides et des crimes contre l’Humanité.
Il faut aussi rappeler que, contrairement à ce que répand la
propagande Israélienne et celle du CRIF, il n’existe aucune loi en France criminalisant
le boycott d’Israël tel que proposé par la campagne « Boycott
Désinvestissement Sanctions » (BDS).
A mon sens, tout ceci participe de campagnes d’intimidation.
C’est un chantage destiné à faire taire toute critique contre Israël. Le danger
de cette situation c’est la confusion entretenue, qui peut nourrir l’antisémitisme,
notamment en faisant croire que les lobbys juifs ont une main sur la politique
française.
Certains évoquent une montée de l’antisémitisme en
France. Quelle est la situation actuellement ?
Il est clair, chiffres à l’appui, que l’antisémitisme en
France a nettement reculé après la deuxième guerre mondiale. Cela ne signifie pas
que les préjugés antisémites n’ont pas la dent dure, ni qu’il n’y a pas d’antisémitisme
parmi les populations musulmanes. Mais ce n’est pas la caractéristique qui définit
la France ou ses populations issues de l’immigration. Les statistiques montrent
que 89% des français trouvent que les juifs sont des français comme des autres,
soit une proportion supérieure de 8 points observée pour les musulmans et de 30
points pour les roms.
Par ailleurs, concernant les actes de violence antijuives, nous
en avons observé une poussé au début des années 2000 (en écho à ce qui se
passait en Palestine lors de la seconde intifada). Depuis, un recul net a été
enregistré. Les actes anti-arabes ou antimusulmans qui avaient à leur tour
connu une poussée en 2015 (suite aux attentats de Charlie Hebdo, du Bataclan et
de l’Hyper Cacher) ont également régressé.
Ce qui a changé, en revanche, c’est que les actes anti-juifs
sont devenus plus violents. Pour la première fois depuis 1945, des personnes ont
été tuées parce que juives.
Parlons de la Palestine. Comment comprendre les paradoxes
entre les développements sur le terrain aujourd’hui et la passivité des capitales
internationales ?
Je crois que les dirigeants occidentaux ne mesurent pas assez
la gravité des politiques israéliennes. Netanyahou a formé après les élections
de 2015 une coalition avec l’extrême-droite. Elle a voté, entre autres, une loi
qui légalise l’annexion de terres palestiniennes privées (les non-privées étant
déjà annexables ou annexées). On passe donc de la colonisation des territoires
occupés en 1967 à l’annexion. Si nous ajoutons à cela la décision du président
américain Trump concernant Jérusalem, nous nous trouvons devant un processus
qui rend caduque la solution des deux états. Reste celle d’un apartheid assumé,
dont les architectes affichent le refus d’octroyer aux palestiniens des droits
politiques, notamment celui du vote.
Paradoxalement, il y a un grand écart entre cette situation désastreuse
sur le terrain et la reconnaissance internationale de la Palestine. Il faut
rappeler qu’au cours des dernières années, elle a été reconnue par les Nations Unies,
a adhéré à l’UNESCO et à la Cours Pénale. De plus, les votes de routine à
l’assemblée générale de l’ONU sur le droit à l’auto-détermination, montrent
l’isolement d’Israël et des Etats-Unis. Le dernier vote a été de 176 voix
contre 6 (dont Israël, les USA, le Canada et les îles Marshall).
D’où la quête du gouvernement israélien de nouveaux alliés,
y compris l’extrême droite européenne?
Je pense que ce gouvernement est prêt à tout pour sortir de
l’isolement cité. Il accélère la colonisation, criminalise là où c’est possible
les critiques à son égard, et tente des alliances avec des personnalités comme
Orban en Hongrie qui fait l’éloge de figures fascistes, des négationnistes tels
que Morawiecki
en Pologne et des formations d’extrême-droite en Autriche et aux Pays-Bas. Évidemment
que la haine commune des musulmans les rapproche, mais c’est surtout la peur de
l’isolement et la quête de relais en Europe qui motive cette démarche. Il faut ajouter
que ce « flirt » rappelle certaines expériences historiques du
sionisme, en Russie (en début du siècle dernier), en Allemagne ou en Italie
(dans les années 1930), où des représentants du mouvement sioniste et
parfois de son aile droite avaient tenté des accords avec les autorités
fascistes, nazis et antisémites pour faciliter l’immigration de juifs
d’Allemagne ou de Russie vers la Palestine.
Une conclusion ?
Je dirais que seule une intervention/pression massive de la
communauté mondiale serait susceptible d’ouvrir un chemin vers la paix en
Palestine, et à long terme, dans le Moyen-Orient, permettant d’assécher le
terreau du terrorisme et des nouvelles formes d’antisémitisme en Occident.
Entretien de Nadia Leila Aissaoui avec D. Vidal publié dans l'Orient Littéraire, Mars 2018
[1] Dominique Vidal, Antisionisme = Antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron, 128 pages, Libertalia, Paris 2018.
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