De « l’affaire du foulard » au Burkini
Dans cette
édition enrichie d’une préface à la traduction, Scott reprend des éléments
d’actualité tels que l’affaire du Burkini. Elle mentionne les proportions anxiogènes
prises par le discours sur le voile et qui se traduisent par un durcissement
des mesures discriminatoires contre les communautés musulmanes de France avec
une focalisation sur les femmes. En quelques années, l’affaire du foulard des trois
élèves interdites d’entrée au collège s’est transformée en bataille idéologique.
Un glissement sémantique qui a d’abord fait passer la question pour une
atteinte aux principes de la laïcité et un symbole d’oppression des femmes, puis
l’a relié à la notion de trouble à l’ordre public. Peu à peu, les mots
« voile », « hijab », « tchador »,
« burka » ont été indistinctement employés pour évoquer le sujet et
suggérer une connexion entre voile-Islam et terreur. En somme « un voile pourrait
cacher une barbe ».
La construction
de ce discours avec le concours médiatique et politique de droite comme de
gauche semble pour le moins symptomatique d’une peur aux yeux de l’auteure. Pour
elle, les mécanismes collectifs activant ce sentiment seraient à rechercher
ailleurs que dans l’actualité. « L’islamophobie est antérieure aux attaques
du 11 septembre et même à la guerre d’Algérie, elle est un aspect de la longue
histoire du colonialisme français, dans lequel le voile a joué un rôle en tant
que marqueur de la différence entre l’islam et la France. »
Racisme et héritage
colonial
Par un argumentaire développé à partir d’abondantes
archives, Scott évoque l’image des femmes « indigènes » et l’effet de
leur voile dans la construction d’un imaginaire fantasmé. « Les arabes
nous échappent parce qu’ils dissimulent leurs femmes à nos regards »
déclarait le général Bugeaud, administrateur du territoire algérien en 1840. Scott
poursuit « Les femmes arabes piquaient l’image
coloniale ; de la domination impériale à la domination sexuelle il n’y a
qu’un pas : la représentation de la femme entre la prostituée et la
séquestrée, soustraite au regard ». Elle est donc
inaccessible et rebelle, et son corps alimente les représentations
« orientalistes ». Par ailleurs, l’épisode historique relatant la
scène du dévoilement de certaines femmes sur la place publique, reste un moment
marquant dans la mémoire collective des populations colonisées et des
générations de françaises qui en sont issues. Cet acte de dévoilement assimilé
à la civilisation et l’émancipation a trouvé une résonnance forte au moment de
« l’affaire du voile » en France.
Laïcité et
voiles
L’auteure cherche
à montrer que dans le discours républicain français, le voile est présenté dans
des termes racistes à travers des connotations de sexualité excessive ou déniée,
qu’il soit porté en signe d’engagement religieux personnel ou en signe
d’opposition politique.
Selon elle, si
le racisme était le sous-texte de la polémique sur le voile, la laïcité fut sa
justification explicite. Cette dernière, loin de protéger la liberté du culte
s’est étendue à l’effacement de toute différence dans la sphère publique. Or c’est
précisément la reconnaissance de cette différence qui peut être garante de la
cohésion. A
contrario, la division et la polarisation Laïcité/religion, Français/ Musulman conduisent
à l’isolement des communautés stigmatisées.
Les voix des musulmanes
qui se sont élevées récemment dans le débat vont dans ce sens. Elles veulent
manifester une appartenance identitaire multiple qui n’exclue ni la
« Francité » ni l’adhésion aux principes « féministes ». Certaines d’entre elles voient même le
voile comme un « élément
d’appartenance identitaire à une communauté mondiale qui transcende la
dimension nationale ».
La pertinence de
l’ouvrage de Scott est ainsi d’avoir pu mettre en perspective les éléments de
complexité du débat qui a divisé les formations politiques et le mouvement des
femmes en France. Elle inscrit sa réflexion dans une profondeur historique qui
ne peut faire l’économie d’un travail sur l’héritage colonial, la sexualité, la
laïcité et leur impact sur l’intégration de l’Histoire des populations
issues de l’immigration dans le récit national français.
Nadia Leila Aissaoui
Article publié dans L'Orient Littéraire, 1er février 2018
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