Je t’ai écrit cent fois dans ma tête toute la nuit. Des
mots, des images et des mélodies ont défilé dans la petite histoire qui me lie
à toi. Et voilà que ce matin, mes doigts comme ma gorge se nouent devant mon
écran, incapable de sortir le moindre son, d’aligner la moindre lettre. Les
mots sont insignifiants et pourtant vitaux.
Je te connais trop peu et pourtant tu m’as été familière dès
le premier instant. Quand j’ai aperçu ton visage pétri d’une douleur qui ne
t’en rendait que plus belle, j’ai compris que tu n’y survivrais pas. L’univers
de l’exil était irrespirable et fatal. J’ai compris désormais avec toi qu’il
était possible de mourir de chagrin.
Je ne pardonnerai jamais à ces assassins du régime qui t’ont
ôté la possibilité d’accompagner ta mère et ta sœur à leur dernière demeure sur
ta terre natale. Je ne pardonnerai non plus jamais à ceux qui se sont tus et
qui se taisent encore.
May, je te connaissais peu et pourtant je te savais ma
semblable. Je sais que nos douleurs de femmes se faisaient écho. Des
douleurs qui ne sont pas inhérentes aux guerres seulement. Elles sont celles de
nos passés, de nos présents et de nos futurs de femmes. Elles échappent au
temps et se nichent dans nos corps. J’ai reconnu la tienne et toi sans doute la
mienne. Peut-être est-ce la raison de ton message m’invitant à nous rencontrer
pour un café. Nous devions impérativement sceller ce lien invisible pour
l’éternité.
Je ne saurai jamais si notre rencontre ce jour-là aurait pu
alléger ta peine et soulagé pour un moment ton cœur. Les maudites grèves des
transports auront produit bien des drames insoupçonnés.
Dans ton dernier statut tu clamais ton optimisme et ta
détermination à ne pas laisser ton pays au criminel. Ce dernier cri désespéré
que le monde entier a entendu a été l’un des adieux les plus douloureux et les
plus merveilleux que j’aie eu à vivre.
Alors il va falloir vivre et être heureuse pour continuer le
chemin. Je le suis et le serai, je te le promets, pour toi et pour tous ceux et
celles qui n’ont pas gouté au bonheur d’être libres dans mon pays et dans le
tien. Je le serai pour ceux et celles parti-e-s et dont j’ai mal de citer les
noms.
Mais avant cela je dois tourner ta page, t’oublier, te
sortir de mon esprit.
T’écrire pour te pleurer, pleurer cette amitié qui n’aura
pas lieu. T’oublier alors car moi aussi May, maintenant j’ai peur de mourir de
chagrin.
Rest in freedom sister.
Nadia Leïla Aïssaoui
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