Quel
rapport y-a-t-il entre entrecôte et patriarcat ? C’est ce que cet essai (Faiminisme, Editions
Nouriturfu, Paris 2017) au
style incisif et drôle tente d’établir. La passion de son auteure, Nora
Bouazzouni, pour l’alimentation est manifeste : « La bouffe c’est la
vie, un plaisir, un doudou, un héritage», et son regard lucide sur la
domination masculine aussi.
Bouazzouni
explique comment nourriture et genre sont liés et comment l’alimentation a
toujours permis d’asservir les femmes. Elle débusque le sexisme dans la
division du travail, les pratiques de consommation et leur lot d’interdits, de
discrimination et de diktats esthétiques. De son livre se détachent trois
parties éclairant ses propos.
La place des femmes dans la « cuisine » :
Madame est asservie
Historiquement
les femmes ont endossé la fonction nourricière exigée par la nécessité d’assurer
la survie de l’espèce. Malgré les évolutions culturelles et technologiques,
elles sont pour la grande majorité, assignées à la fonction du
« care » sans que cela ne soit pour autant reconnu : « De
quoi tu te plains ? Je t’ai acheté un micro-ondes ! ».
En
revanche, lorsque la cuisine est arrivée dans la sphère publique par l’intermédiaire
des hommes, elle a été socialement valorisée et lucrative. Les « chefs »
de « brigades » (noter le vocabulaire militaire), ont monopolisé le
filon, n’hésitant pas à
reprendre à leur compte l’héritage transmis par leurs mères. A ces femmes
revenait la tambouille répétitive, aliénante et gratuite pour nourrir la
progéniture. Aux hommes, l’art de la table sophistiqué. Récupération habile qui
participe une fois de plus à la « prééminence » du masculin
(associant le raffinement à la culture) par rapport au féminin (associant la
nourriture à la nature).
Patriarcat,
capitalisme et exploitation
L’auteure
retrace brièvement la genèse du patriarcat et son articulation avec le
capitalisme via le contrôle des ressources et la domination des femmes. Cette
dernière aurait pris
naissance avec la prévalence
physique des hommes. Et tenez-vous bien, la prévalence n’a rien de génétique.
Les femmes sont devenues plus faibles et plus petites physiquement par effet de
sous-alimentation, les plus grosses rations alimentaires ayant été réservées
aux hommes puisque la tache de la chasse leur incombait. La prise de conscience
de la force physique aurait engendré la mainmise sur les moyens de production et
la marginalisation des plus faibles, marquant de ce fait la naissance du
capitalisme. Celui-ci serait donc lié au patriarcat car tous deux s’auto-alimentent
et se nourrissent notamment de l’exploitation des femmes.
Pratiques
de consommation
Bouazzouni
dresse un réquisitoire contre les modes de consommation alimentaires néfastes pour
l’environnement. Elle voit dans l’ingestion excessive des viandes une
perpétuation de la culture du « chasseur ». Encore une fois, elle cloue
au pilori des clichés sexistes infondés. Par exemple, les hommes auraient un
besoin naturel de consommer de la viande, tandis que les femmes pencheraient
pour la nourriture saine et colorée que sont les fruits et les légumes.
Par ailleurs, la culture carnée selon
l’auteure, logerait femmes et animaux à la même enseigne. « Certes on ne
trouve pas d’escalopes de meuf dans les supermarchés » mais on les
affuble de petits noms « poule, chienne, vache, cochonne, chatte,
cougar». En outre, les femmes seraient des proies consommables dont on
adapte l’image au marché. Ainsi, découpe
et présentation attrayante des viandes sous emballages relèvent de la même
logique de marketing que les retouches photographiques des femmes et le
morcellement de parties de leurs corps (poitrine, jambes, fesses) à des fins
commerciales. L’industrie du profit rend les cadavres d’animaux abstraits, les
femmes plus désirables, le tout, désincarné et « propre à la
consommation ».
Cette
réflexion interpelle car elle ouvre un débat éthique sur le rapport entre l’engagement
militant et les pratiques de consommation. Le féminisme serait-il
nécessairement végétarien : « lire Simone de Beauvoir en mangeant un
steak est-ce trahir la cause » ?
Au
fond il importe moins de savoir si Féminisme et Antispécisme (mouvement qui
refuse le droit de mort de l’être humain sur l’animal) doivent fonctionner
ensemble que de constater leur point commun : la volonté de déconstruire « un
système millénaire et institutionnalisé » d’exploitation et de violence.
Pour
conclure, Bouazzini propose un manifeste de la sororité, mélange de solidarité
et de bienveillance mutuelle.
Avec
une plume rafraichissante, elle encourage les femmes à mieux se médiatiser pour
lutter contre les structures qui les invisibilisent. Elle appelle les
privilégiées à faire entendre les voix de celles qu’on n’écoute pas et à
s’engager pour l’émancipation en tant que féministes, car « être féministe
n’est pas une injure, tout comme combattre le patriarcat ne signifie pas que
tous les hommes sont des salauds ».
Nadia Leila Aissaoui
Article publié dans l'Orient Littéraire (Décembre 2017)
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