dimanche 24 décembre 2017

Quand le sexisme passe à table

Quel rapport y-a-t-il entre entrecôte et patriarcat ? C’est ce que cet essai (Faiminisme, Editions Nouriturfu, Paris 2017) au style incisif et drôle tente d’établir. La passion de son auteure, Nora Bouazzouni, pour l’alimentation est manifeste : « La bouffe c’est la vie, un plaisir, un doudou, un héritage», et son regard lucide sur la domination masculine aussi.


Bouazzouni explique comment nourriture et genre sont liés et comment l’alimentation a toujours permis d’asservir les femmes. Elle débusque le sexisme dans la division du travail, les pratiques de consommation et leur lot d’interdits, de discrimination et de diktats esthétiques. De son livre se détachent trois parties éclairant ses propos.

La place des femmes dans la « cuisine » : Madame est asservie

Historiquement les femmes ont endossé la fonction nourricière exigée par la nécessité d’assurer la survie de l’espèce. Malgré les évolutions culturelles et technologiques, elles sont pour la grande majorité, assignées à la fonction du « care » sans que cela ne soit pour autant reconnu : « De quoi tu te plains ? Je t’ai acheté un micro-ondes ! ».
En revanche, lorsque la cuisine est arrivée dans la sphère publique par l’intermédiaire des hommes, elle a été socialement valorisée et lucrative. Les « chefs » de « brigades » (noter le vocabulaire militaire), ont monopolisé le filon, n’hésitant pas à reprendre à leur compte l’héritage transmis par leurs mères. A ces femmes revenait la tambouille répétitive, aliénante et gratuite pour nourrir la progéniture. Aux hommes, l’art de la table sophistiqué. Récupération habile qui participe une fois de plus à la « prééminence » du masculin (associant le raffinement à la culture) par rapport au féminin (associant la nourriture à la nature).

Patriarcat, capitalisme et exploitation

L’auteure retrace brièvement la genèse du patriarcat et son articulation avec le capitalisme via le contrôle des ressources et la domination des femmes. Cette dernière aurait pris naissance avec la prévalence physique des hommes. Et tenez-vous bien, la prévalence n’a rien de génétique. Les femmes sont devenues plus faibles et plus petites physiquement par effet de sous-alimentation, les plus grosses rations alimentaires ayant été réservées aux hommes puisque la tache de la chasse leur incombait. La prise de conscience de la force physique aurait engendré la mainmise sur les moyens de production et la marginalisation des plus faibles, marquant de ce fait la naissance du capitalisme. Celui-ci serait donc lié au patriarcat car tous deux s’auto-alimentent et se nourrissent notamment de l’exploitation des femmes.

Pratiques de consommation

Bouazzouni dresse un réquisitoire contre les modes de consommation alimentaires néfastes pour l’environnement. Elle voit dans l’ingestion excessive des viandes une perpétuation de la culture du « chasseur ». Encore une fois, elle cloue au pilori des clichés sexistes infondés. Par exemple, les hommes auraient un besoin naturel de consommer de la viande, tandis que les femmes pencheraient pour la nourriture saine et colorée que sont les fruits et les légumes.
Par ailleurs, la culture carnée selon l’auteure, logerait femmes et animaux à la même enseigne. « Certes on ne trouve pas d’escalopes de meuf dans les supermarchés » mais on les affuble de petits noms « poule, chienne, vache, cochonne, chatte, cougar». En outre, les femmes seraient des proies consommables dont on adapte l’image au marché.  Ainsi, découpe et présentation attrayante des viandes sous emballages relèvent de la même logique de marketing que les retouches photographiques des femmes et le morcellement de parties de leurs corps (poitrine, jambes, fesses) à des fins commerciales. L’industrie du profit rend les cadavres d’animaux abstraits, les femmes plus désirables, le tout, désincarné et « propre à la consommation ».

Cette réflexion interpelle car elle ouvre un débat éthique sur le rapport entre l’engagement militant et les pratiques de consommation. Le féminisme serait-il nécessairement végétarien : « lire Simone de Beauvoir en mangeant un steak est-ce trahir la cause » ?
Au fond il importe moins de savoir si Féminisme et Antispécisme (mouvement qui refuse le droit de mort de l’être humain sur l’animal) doivent fonctionner ensemble que de constater leur point commun : la volonté de déconstruire « un système millénaire et institutionnalisé » d’exploitation et de violence.

Pour conclure, Bouazzini propose un manifeste de la sororité, mélange de solidarité et de bienveillance mutuelle.

Avec une plume rafraichissante, elle encourage les femmes à mieux se médiatiser pour lutter contre les structures qui les invisibilisent. Elle appelle les privilégiées à faire entendre les voix de celles qu’on n’écoute pas et à s’engager pour l’émancipation en tant que féministes, car « être féministe n’est pas une injure, tout comme combattre le patriarcat ne signifie pas que tous les hommes sont des salauds ».

Nadia Leila Aissaoui

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