Les rituels funéraires ont toujours été un élément fondamental de la condition humaine. Ils offrent un moyen de dire adieu à celles et ceux qui nous ont quittés et permettent de trouver un sens à la perte.
Dans ce laps de temps suspendu se constitue ainsi une vie et une communauté autour des endeuillés, et dans les différentes cultures, le passage des défunts vers l’autre monde est assuré par des pratiques liées aux croyances locales et au rapport aux ancêtres. La préparation des repas funéraires figure parmi les plus partagées et chargées symboliquement.
Dans son livre «La cuisine de la consolation», Stéphanie Schwartzbrod recueille les témoignages de vingt cinq hommes et femmes sur les rites culinaires pratiqués dans leurs pays.
Le temps de l’Adieu
Si les rites fournissent un espace pour pleurer, se souvenir et honorer la vie de ceux qui sont partis, les cérémonies religieuses et les pratiques traditionnelles ancestrales, apportent un réconfort et un soutien essentiels aux familles endeuillées.
La préparation des repas est à cette occasion souvent épargnée aux personnes dévastées par le chagrin, et prise en charge par le cercle familial ou communautaire plus large. Ce n'est pas simplement une question de nourriture, mais plutôt une manifestation tangible de la manière dont les traditions et les souvenirs sont transmis de génération en génération. Véritable lien entre le passé et le présent, les plats préparés peuvent être des recettes familiales portant avec elles un héritage culturel et un lien profond avec le passé.
Certaines familles choisissent donc de s’attacher à la tradition et préparent les plats rituels. Ainsi Giovanni (Yacatan-culture Maya) confie que le Pibil pollo, une tourte à base de farine de maïs farcie au poulet est cuisinée depuis près de mille ans. Quant à l’halwa et le sholeh Zard, sucreries communes à l’Afghanistan de Shogfa et l’Iran de Saeed, elles sont préparées spécialement pour ce moment. Dans plusieurs cultures, confectionner des plats de viande et de poisson qui tiennent au corps sont un signe de respect et considération pour les défunts. Plus la catégorie sociale est élevée plus la table est garnie de Kebbeh au Liban par exemple, des Ceviche au lait de tigre et de Lomo saltado au Pérou, de poulet Yassa au Sénégal, de blanquette de veau et de terrines en France, de riz au gras en Côte d’Ivoire, de Kufta en Arménie, d’accras de morue et de colombo de poulet en Guadeloupe, de feuilles de choux farcies en Moldavie etc. En Inde, pour les hindouistes la nourriture se veut végétalienne car aucune chair morte pouvant rappeler l’état du défunt ne doit être ingurgitée, tandis qu’en Corée la dualité se retrouve dans la nourriture Yin et Yang avec un équilibre des saveurs, des textures, du cru et cuit, du chaud, du froid et des couleurs.
Dans certaines sociétés, des femmes prennent le parti de préparer les plats favoris du défunt ou de la défunte en guise de célébration de sa mémoire. C’est le cas de Noha Baz, Pédiatre Libanaise d’origine alépine, fine gastronome et fondatrice du prix littéraire Zyriab. Pour elle, «manger le plat que les défunts aimaient enveloppe de douceur le temps si particulier du deuil». C’est pour cela qu’elle s’attelle à chaque date d’anniversaire de naissance (et pas de décès) de ses proches partis à préparer des grandes tablées en leur honneur, garnies de Kebbeh safarjalieh pour son père et son grand père, d’Ouzi, de Chich barak et de Tortellinis pour sa sœur ou alors de veau marengo et gratin dauphinois pour sa mère.
Rester du côté de la vie
Le travail richement documenté de Stéphanie Schwartzbrod dans ce livre nous donne à voir les similitudes émouvantes dans leur objectif fondamental des différentes cultures. «Comment célébrer la mémoire des morts tout en restant du côté de la vie?» dirait Makenzy (Haïti). Des pratiques religieuses monothéistes, hindoues, boudhistes à celles animistes, le vaudou ou le chamanisme, toutes cherchent à donner à la vie une forme d’harmonie avec la mort.
Ainsi la fête des morts en novembre pour certains, au printemps pour d’autres, transforme les cimetières et les tombes en tapis de fleurs. De la nourriture, notamment du pain y est partagée, de l’alcool y est versé pour communier avec les morts, et des orchestres y jouent de la musique.
En outre le temps passé à cuisiner le repas est important. Il constitue pour Luna (Corée) une parenthèse qui permet une conversation muette dans laquelle on transmet quelque chose à travers le plat qu’on s’est donné du mal à préparer. Idéalement et selon Bintou (Côte d’Ivoire), il ne faudrait pas pleurer car les pleurs ne font pas de bien aux morts. Ils sont une manière de vouloir les retenir.
On lit cet ouvrage comme un carnet de voyage dans lequel l’autrice nous emmène à la découverte des différents rituels funéraires. Mais il est surtout et aussi une quête personnelle pour déceler des preuves d’un amour maternel silencieux et dont le secret pourrait se nicher dans les recettes de cette mère léguées à son départ. S’il est difficile de savoir si la cuisine console de la perte des êtres chers, on peut toutefois à la lecture du livre espérer qu’elle vienne pour chacun adoucir l’idée tant redoutée de la mort.
La cuisine de la consolation, Stéphanie Schwartzbrod, Editions Actes Sud, février 2024.
Nadia L. Aissaoui
Article paru dans l'Orient Littéraire, Mars 2024
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