Taleb Alrefai est né au koweit en 1958. Enseignant en écriture créative à l’Université Américaine de Koweit, il occupe dans le même temps un poste de responsabilité au Conseil national de la culture, des arts et des lettres du ministère de l’Information. C’est également un journaliste et un auteur prolifique dont les textes portent un regard situé sur la société koweitienne. La douzaine de romans et recueils de nouvelles expriment son souhait de «donner une vraie image du pays», car selon lui c’est le rôle de la littérature de dessiner avec vérité et authenticité l’état présent de la société.
Son dernier roman «Les portes du paradis» nous invite à découvrir une histoire captivante jusqu’à la dernière page, narrée par ses personnages principaux. Chapitre après chapitre, l’univers des uns et des autres s’ouvrent à nous avec leurs voix singulières.
Yacoub, un homme d’affaires d’une soixantaine d’année passe le plus clair de son temps à la gestion de son business. Voyages, transactions financières, signature de contrats absorbent toute l’attention de cet homme dont la mission est d’assurer une vie confortable et prospère à sa famille. Il envisage de transmettre son empire à son fils préféré Ahmed qui ne le voit pas de cet œil. Introverti et mystérieux, celui-ci a des ambitions qui sont aux antipodes de celles de son père. Il veut aller en Syrie combattre aux côtés de ses «frères d’arme».
Sheykha l’épouse de Yacoub est une femme active et élégante. Elle concilie, comme pour adhérer à un schéma moderne, vie de famille et vie professionnelle. La traversée de la cinquantaine éveille chez elle des doutes existentiels en lien avec le vieillissement et le regard que porte sur elle son mari. Elle tente d’en apaiser les remous par la consommation effrénée de produits de luxe (dont des vêtements qui finissent pour la plupart chez sa loyale servante indienne), le recours à la chirurgie esthétique et l’entretien d’un cadre accueillant et reposant pour son mari absent. Ce dernier repu de décennies de vie conjugale avait fini par lui préférer une certaine forme de solitude. Il croyait avoir fait le tour des choses de l’amour jusqu’au jour où dans l’ascenseur qui le menait à son bureau, le parfum énivrant et l’éclat des yeux de Farnaz viennent le ravir jusqu’à l’obsession. Depuis, il n’a de pensées que pour elle et est bouleversé par cet état amoureux jusque-là rarement éprouvé. «Comment cette fille a-t-elle pu remettre en mouvement l’eau stagnante de mon cœur» se dit-il en scrutant la mer depuis la baie vitrée de son bureau.
Farnaz est une jeune iranienne née au Koweit. Issue d’une famille pauvre, elle estime être chanceuse d’avoir été recrutée dans l’entreprise de Yacoub tant les opportunités de travail sont rares. Elles et sa famille font partie des nombreux étrangers venus chercher des conditions de vie plus clémentes que dans leur pays d’origine. Consciente et troublée de l’intérêt que lui porte son patron, elle s’interroge toutefois sur ses intentions et sur la posture à adopter pour ne pas risquer de perdre son emploi et son titre de séjour. Cèdera-t-elle à son désir? Que cherche-t-il véritablement en elle? D’où viendra finalement la délivrance?
Dans ce roman palpitant qui se déroule sur fond de guerre en Syrie avec une mémoire marquée par la guerre en Irak et les tensions clivantes entre sunnites et chiites, l’auteur dresse à travers ses personnages un portrait saisissant d’une société cosmopolite, pétrie de contradictions. Les valses-hésitations entre conservatisme-religiosité et modernité, tradition et consumérisme sont le lot commun de nombreux pays de la région. Une complexité tissée dans la diversité sociale, ethnique, religieuse, culturelle et générationnelle qui invite à la nuance et à la prudence quant à la tentation de céder aux préjugés homogénéisants, à la déconstruction des éventuelles représentations caricaturales dont font l’objet les sociétés du golfe en général.
On perçoit également la sensibilité et la finesse qui caractérise la composition des personnages avec leurs failles, leurs doutes, leurs amours, leur solitude et leur désarroi.
Tout se passe comme si l’auteur, en partant de son expérience personnelle depuis son pays donnait la preuve aux lecteurs et lectrices de tous horizons, de la dimension universelle de notre humanité.Les Portes du paradis de Taleb Alrefai, Actes-Sud, 2023, 320 p.
Nadia L. Aïssaoui
Article paru dans l’Orient Littéraire, Juin 2023
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire