Pourquoi la guerre ? » c’est ainsi qu’est intitulé un échange de correspondance initié par Alfred Einstein avec Sigmund Freud en 1932. Ce n’est point un hasard si Albert Einstein a choisi d’élaborer une réflexion sur la guerre et la violence avec Freud à l’époque où le concept de la société des nations en tant qu’instance supérieure tentait de trouver un statut suffisamment puissant pour garantir un arbitrage entre des nations en conflit et faire respecter le droit au delà des législations nationales.
Bien qu’il ait tout au long de sa vie ouvertement affiché sa résistance à la psychanalyse en déclarant « je préfère de beaucoup vivre dans l’obscurité de celui qui n’a pas suivi d’analyse » (p18), Einstein n’en n’était pas moins un lecteur assidu de tous les travaux de Freud. Quelque chose de commun les reliait, leur humanisme et leur rejet viscéral de la guerre. Et au delà de ses analyses d’ordre économique ou politique, Einstein pressentait à juste titre que quelque chose de l’ordre du psychique était à l’œuvre dans les manifestations de violence et le déclenchement des guerres. Et c’est par un propos qui sonne comme une reconnaissance de la juste démarche de Freud qu’il conclu sa lettre : « l’homme a en lui un besoin de haine et de destruction.(…) elle peut être éveillée avec une certaine facilité et dégénérer en psychose collective » (p38).
Qui aurait pu être mieux placé que Freud pour apporter un éclairage sur cette part sombre de l’Humanité ?
Qui aurait pu être mieux placé que Freud pour apporter un éclairage sur cette part sombre de l’Humanité ?
Freud s’est toujours intéressé à la nature violente de l’être humain. Pour lui c’est l’une des premières composantes archaïques qui assure la survie de l’espèce. Ainsi les conflits d’intérêts entre les hommes ont dans un premier temps toujours été résolus par la violence qu’il s’agisse de l’élimination de l’ennemi ou son asservissement par le plus fort.
L’instinct de survie se manifeste par la violence fondamentale car il s’agit selon Freud de « manger ou d’être mangé ». A chaque fois qu’un individu ou une communauté se sent menacé dans sa survie il entre dans la logique du « c’est lui ou c’est moi ».
Freud retrace une perspective historique de l’humanité et montre comment la civilisation a donné naissance au droit pour contrer la violence. Le droit étant l’un des fruits du contrat social passé entre individus et devenant la force de la communauté opposée à la violence d’un seul. Une condition psychologique s’impose toutefois selon lui pour le maintien de la cohésion de la communauté celle de l’attache d’ordre sentimental, du sentiment de communauté sur lequel se fonde cette force.
Si Freud démontre le caractère inéluctable et universellement partagé de l’instinct de destruction, ce n’est pas pour sombrer dans le fatalisme ni pour conclure que l’Humanité court à son autodestruction. Il oppose au contraire à cette vision des exceptions les incluant tous les deux dans cette communauté révulsée par la guerre et la violence.
Il suggère implicitement que l’évolution d’un individu ou d’un groupe dans un environnement de libertés et de qualité affective suffisamment bons au sein duquel il est autorisé à développer tout son potentiel intellectuel et culturel, constitue le meilleur barrage à l’expression brute de l’instinct violent. C’est précisément cet environnement que Freud définit comme étant la « culture » alors que d’autres l’appellent « civilisation ». En d’autres termes, si la violence fondamentale présente en chacun de nous fait alliance avec la libido en l’absence d’interdits et d’oppression, dans un climat de liberté et de créativité, il y a de grandes chances de voir reculer le spectre de la guerre au profit de la culture/civilisation.
Ce petit fascicule brille autant par son contenu prémonitoire que par son actualité. Il a fait l’objet de maintes analyses et sa richesse continue à ce jour de nous surprendre et de nous inspirer. La conclusion de Freud est éloquente et résolument optimiste. Lorsqu’il écrit « tout ce qui travaille au développement de la culture travaille aussi contre la guerre » (65), il trace tout un projet de société pour lequel nous ne pouvons qu’adhérer.
Nadia Aissaoui
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