lundi 23 novembre 2020

L'affaire de la "Lycéenne d’Oran"

En attendant un dénouement et les réactions officielles des principaux concernés à savoir le proviseur du lycée et/ou sa hiérarchie, il me semble important de remettre un peu de perspective dans l’histoire et surtout d’en tirer quelques éléments d’analyse en dehors de toute personnalisation que ce soit de l’élève ou du proviseur.

Il se peut que ce dernier nie en bloc les faits ou ne comprenne pas qu’une pratique somme toute banale et routinière dans le milieu de l'éducation soulève autant d’indignation. Au fond ce qui est digne d’intérêt n’est pas tant de connaître son état d’esprit que les questions sous-jacentes à cette histoire.

Que nous révèle en partie cette affaire ?

1/ La question de l’abus de pouvoir structurel :

La vague d’indignation et de solidarité ainsi que les innombrables témoignages nous révèlent que la maltraitance des élèves et le manque de considération pour leurs parents sont une pratique répandue. Elle est d’une certaine façon l’illustration de la hogra courante dans notre pays.  Aussi, il est aisé pour tout détenteur d’autorité sans nuance et sans ménagement, d’imposer de manière arbitraire et humiliante à des personnes démunies des règles parfois absurdes. Il s’agit ici de domestiquer les élèves et les éduquer à l’effacement et à la docilité.  Cela passe bien entendu par le contrôle du code vestimentaire, qui serait entendable jusqu’à un certain point. Là où cela dépasse l’entendement c’est la fixation qui est faite sur les cheveux et qui à mon sens a une signification symbolique qui ne relève pas de l’unique souci de la tenue correcte de l’élève. Mais c’est un autre débat.

Ce qui dépasse aussi l’entendement c’est l’attitude méprisante vis-à-vis des parents. Ces derniers (souvent les mères) démuni.e.s et craignant des représailles sur leurs enfants, évitent de se manifester. Elles savent que c’est une épreuve de solitude que d’affronter seules un système fondé sur l’abus de pouvoir et qui se maintient en faisant régner la peur.

2/ La question de la discrimination et du sexisme:

Les nombreux témoignages et prises de paroles ont révélé que l’affaire du cheveu frisé n’est pas un fait divers sans importance mais un drame national. Cachez-moi ce cheveu frisé que je ne saurais voir ! Il est rebelle, il fait peur, il incarne la haine de soi pour toute personne toujours sous emprise du complexe du colonisé. C’est valable pour les deux sexes au vu des témoignages de solidarité largement relayés. Mais c’est encore plus violent chez les femmes. Elles sont dès leur plus tendre enfance confrontées à l’injonction de la docilité du corps et du cheveu. Il doit être lisse, attaché voire couvert. Dans les familles ainsi que dans l’espace public, elles sont sujettes aux pires humiliations, violences psychologiques et parfois physiques en raison de leur chevelure.

Pour revenir à la lycéenne, on aurait pu s’en tenir à la version qui défend l’application du règlement intérieur objectée par endroits. Le problème c’est qu’aucun article dans le règlement en question ne fait allusion à la chevelure. Admettons quand même que le règlement le stipule, quel est le rapport avec le fait que le proviseur insinue que la mère frise volontairement les cheveux de sa fille et qu’il exige d’elle la preuve du contraire en demandant une photo de l’élève petite ? Comment se fait-il qu’au nom d’un règlement, il s’autorise à mettre en doute la parole de la mère ? Comment se permet-il par ailleurs de quitter son bureau et de l’y enfermer à double tour ?

La réponse est simple et elle se nomme sexisme. Le proviseur s’est autorisé à maltraiter la mère de la sorte parce que c’est une femme. Aurait-il demandé au père s’il emmenait volontairement sa fille se faire friser les cheveux chez la coiffeuse, aurait-il osé demander une preuve et finalement aurait-il eu le courage de séquestrer un homme ? Nous sommes  typiquement dans la situation classique ou tout homme dans notre pays se sent socialement autorisé à exercer une violence envers une femme sans s’inquiéter outre mesure des conséquences de ses actes.

3/ La prise de conscience citoyenne :

Je suis pour ma part convaincue qu’il y a un avant et un après Hirak. Cette vague d’indignation et de solidarité spontanée et rapide en est la preuve. Les organisations féministes en premier ont été réactives, solidaires et toujours au RDV. Mais cette fois elles n’ont pas été seules. Cela signifie que cette histoire par sa symbolique concerne toute la société, que l’injustice et l’humiliation sont de moins en moins tolérées. La solidarité masculine signe aussi que certains ont compris que notre lutte en tant que femmes pour une société plus juste et plus égalitaire est aussi la leur. 

C’est à mon sens une expérience riche dans la mesure où elle nous fait mesurer le chemin parcouru dans la réflexion sur l’engagement, les rapports de pouvoir, la hogra et le sexisme. Par conséquent, quelle que soit l’issue de cette affaire, elle aura au moins permis aux élèves maltraités de prendre conscience qu’il n’est pas normal de l’accepter, aux parents silencieux et seuls, que la mobilisation et la solidarité sont possibles et aux citoyennes et citoyens en général que le Hirak peut prendre des formes d’actions multiples dans divers domaines.  Il n’y a pas de petite cause car à chaque fois qu’une femme ou un homme sont humilié.e.s, c’est tout un pays et ceux et celles qui se sont sacrifié.e.s pour lui qui le sont. Nous sommes condamné.e.s à l’optimisme car nous le devons aux nouvelles générations auxquelles nous inculquons que l’impossible n’est pas algérien.ne, même au temps du COVID.

Nadia Leïla Aïssaoui

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